Parfois mal compris, souvent galvaudés, qu’est-ce que le Kung Fu et qu’est-ce que le Wushu ? Pourquoi sont-il parfois mentionnés ensemble, et parfois victimes de guerre d’égos ? Comment distingue-t-on les styles ? Voilà de quoi tout éclaircir :
Le Wushu, qu’est-ce que c’est et qu’inclut-il ?
Et bien, c’est un peu complexe, mais c’est cette complexité qui en fait sa richesse.
« Wu » 武 signifie « guerre », et « shu » 術 se traduit par « technique ».
En assemblant ces 2 caractères, on obtient donc le mot « Wushu » 武術, traduit alors comme « Art Martial », sans distinction d’origine, même si en Chine à Taiwan ou à Hong Kong, cette appellation induit souvent qu’il soit originaire de Chine.
Pour plus d’indications sur l’origine, on peut également dire, par exemple : « Ri Ben Wushu » 日本武術 pour les arts martiaux Japonais, ou « Zhong Guo Wushu » 中國武術 pour les arts martiaux Chinois,qui nous intéressent ici.
Notons qu’à Taïwan une appellation supplémentaire est parfois utilisée, notamment par les maîtres des styles les plus traditionnels. Ils appellent alors les art martiaux Chinois « Kuoshu » 國術 soit littéralement « Technique ou Art National ».
Cette dernière appellation souligne d’autant plus l’importance des arts martiaux dans l’héritage national.
Popularisé en occident par les films d’arts martiaux, et notamment par l’acteur Bruce Lee, le Wushu y est plus souvent appelé « Kung Fu », à tort. Rares sont ceux en Chine ou à Taiwan qui utilisent le terme « Kung Fu » 功夫 pour désigner les arts martiaux chinois, à deux exceptions :
- Lorsqu’un Chinois parle d’arts martiaux chinois à un occidental, il utilisera souvent le mot Kung Fu car il est connu comme le terme le plus employé à l’ouest.
- Lorsque l’on se trouve dans certaines provinces du sud de la Chine et plus particulièrement celles dont le dialecte principal est le cantonnais, ainsi qu’à Hong Kong. Même si le terme Wushu existe et y est aussi utilisé sous sa prononciation cantonaise “Mo Suk”, on y préfère souvent le terme “Kung Fu”, préférence qui découle sans doute de l’industrie cinématographique Hongkongaise.
A la base le terme « Kung Fu » n’a pas de lien direct avec les arts martiaux. « Kung Fu » ou « Gong Fu » en mandarin, composé des caractères « Gong » et « Fu », désigne un succès, une maîtrise, obtenue suite à un dur et long labeur. Un chef cuisinier comme Thierry Marx a, par exemple, un excellent « Kung Fu » en cuisine, et un maître d’arts martiaux a un excellent « Kung Fu » … en « Wushu » ! Tous deux sont passés maîtres de leur art respectif, suite à un long et difficile travail et apprentissage.
Mais le Wushu est un tout. Il regroupe certes de nombreux styles de combat, mais aussi de l’équitation, du tir à l’arc, de la méditation, des exercices respiratoires, et des techniques de médecine traditionnelle chinoise. La plupart des grands maîtres de Wushu traditionnel étaient et sont encore, pour certains, de grands médecins, souvent experts en replacement osseux notamment.
Les historiens s’accordent pour dire que les premières techniques martiales remontent aux premiers besoins d’auto-défense, et de l’apparition des premières armées et milices, et ce, dès -600 avant Jésus Christ sous la forme de lutte, et avec la parution du fameux traité militaire « L’art de la Guerre », écrit par Sun Zi ou « Sun Tzu » en occident.
Sous la dynastie des Tang qui s’est étalée de 618 à 907 après Jésus Christ, on fait aussi référence à des danses d’épées, comparables aux formes pratiquées individuellement encore aujourd’hui, avec ou sans armes, et appelées « Taolu », plus connues dans les arts martiaux japonais sous le nom de « Kata ».
Mais là où ces techniques martiales vont se transformer en art, c’est lorsque celles-ci vont s’imprégner des codes et valeurs morales Confucianistes, Taoïstes, et Bouddhistes, et y mêler, plus uniquement un travail purement physique, mais aussi mental et énergétique, notamment par la pratique de la méditation.
Styles du Nord et Styles du Sud
Les nombreux styles de Wushu ont été notamment regroupés suivant leur région géographique, en deux familles, ceux du Nord, souvent classés sous les noms « Changquan » (Boxe longue), ou « Bei Shaolin Quan» (Boxe ou poing Shaolin du nord), et ceux du sud, regroupés sous l’appellation « Nanquan » (Boxe du Sud), ou « Nan Shaolin Quan » (Boxe ou poing Shaolin du sud). La délimitation géographique étant le fleuve Yangzi Jiang ou Changjiang, coupant la Chine en deux.
Pour simplifier les choses, on peut dire que les styles du nord se distinguent par l’utilisation plus fréquente, et plus nombreuse de techniques de jambes, ainsi que par des mouvements plus amples, et pour certains styles, plus aériens.
Les styles du sud, eux, possèdent de plus nombreuses techniques de frappes des membres supérieurs, plus courtes et « explosives », souvent plus adaptées au combat à courte distance, avec des bases plus ancrées dans le sol.
Cette différence entre les styles, s’expliquerait notamment par le fait que les populations du nord soient plus grandes que celles du sud, mais aussi par rapport aux différences de climats et de sol.
Le nord, plus vallonné et riche en montagnes favoriserait la musculation et le renforcement des membres inférieurs, jambes et pieds, d’où l’utilisation plus importantes de ceux-ci.
Le sud, plus chaud et humide, avec un sol souvent mouillé, voir boueux, restreindrait les techniques de jambes pour garder l’équilibre, et nécessiterait donc d’être plus ancré dans le sol pour ne pas glisser, et aider ainsi à la génération d’une force explosive lors d’une frappe avec les membre supérieurs : bras, coudes, et mains.
Externe et Interne
Une autre différenciation commune des styles de Wushu, est celle dite des arts « externes » et « internes ». En mandarin : « Waijia Quan » et « Neijia Quan ».
Bien que nous n’aimons pas, à l’académie, utiliser cette distinction car tous les styles sont à la fois externes et internes, il faut avoir conscience de cette différenciation faite par la majorité des gens.
Dans les arts martiaux chinois, on désigne par « internes » les styles utilisant presque essentiellement l’énergie ou souffle interne, dont le noyau est au niveau du méridien « Dantian », situé quatre doigts sous votre nombril. Dans ces styles, on privilégie le travail de cette énergie à celui du pur travail de renforcement osseux, tendineux et musculaire.
Les styles internes les plus connus, sont le « Bagua Zhang », le « Xing Yi Quan », et surtout le « Taiji Quan ». Souvent considéré comme une simple gymnastique pour vieillards, et non-effectif en combat réel de part sa lenteur, le Taiji Quan n’en reste pas moins un véritable art martial lorsque enseigné et pratiqué correctement à vitesse réelle. La pratique en lenteur servant à travailler l’énergie interne et à se mouvoir grâce à elle, et non pas à se battre au ralenti.
Traditionnel et Moderne
Pour terminer, une dernière classification des styles, qui a vu naissance au milieu du 20ème siècle, mérite d’être évoquée pour comprendre nos futurs rendez-vous.
Alors qu’après la dynastie Qing et pendant la période républicaine, le Wushu et ses maîtres étaient considérés comme trésors nationaux, il fût interdit de pratiquer les arts martiaux traditionnels pendant la révolution culturelle. En effet, le Wushu était considéré comme un courant de pensée contraire au nouveau pouvoir en place, valorisant notamment le développement individuel, et des techniques d’auto défense pouvant mener à la rébellion. Les maîtres eux-mêmes étant persécutés, certains parvinrent à s’enfuir pour Hong Kong, Macao, Singapour, et Taïwan, d’où la présence ici de certains des styles du Wushu traditionnels les plus proches de leur pratique originelle, n’ayant pas subit de modernisation imposée ni de perte de techniques dû à l’interdiction de pratiquer.
En 1958 le gouvernement de la République Populaire de Chine créa l’Association Chinoise de Wushu, dont le rôle premier était de standardiser les styles pour en faire un sport de compétition remplaçant les écoles traditionnelles, jusqu’à la période de reconstruction, où le gouvernement, assouplissant sa politique, autorisa à nouveau la pratique du Wushu traditionnel.
Le Wushu moderne, dont la figure de proue est sans aucun doute l’acteur Jet Li, et qui comporte des techniques standardisées, des mouvements obligatoires et difficultés techniques spécifiques à enchaîner pour atteindre une meilleur note, ne compte que 6 catégories : Le Changquan qui est un mélange de techniques inspirées de certains styles du nord, Le Nanquan pour les techniques du sud, le Taiji Quan, et le combat, appelé « Sanda » consistant en des combats à deux pendant 2 rounds gagnants de 2 minutes sur une plateforme surélevée, où les athlètes peuvent utiliser les poings, les jambes, projections et arrachages du sol. Très grossièrement, une sorte de MMA sans lutte au sol. On compte aussi la catégorie « Duilian » ou « combats chorégraphiés » à 2 ou 3, et la catégorie « Jiti » qui désigne des démonstrations en groupe purement artistiques.
Le Wushu moderne existe toujours et est le représentant premier du Wushu à l’international, poussé par le gouvernement chinois, dont le rêve, comme celui de nombreux pratiquants, serait de le voir un jour en compétition officielle des Jeux Olympiques. Une lueur d’espoir s’est d’ailleurs faite jour pour enfin faire briller cet art devant les arts martiaux concurrents que sont le Karaté et le Taekwondo. En effet le CIO a confirmé en Janvier dernier que le Wushu moderne sera une épreuve officielle des Jeux Olympiques Jeunes ayant lieu à Dakar en 2022.